Le corps, difficile à entendre alors qu’il parle pourtant si fort
Vous est-il déjà arrivé de pleurer sans trop savoir pourquoi ? De ressentir une angoisse qui vous serre la gorge, alors que tout semble aller « objectivement » bien ? De vous crisper, vous tendre ou fuir une situation sans pouvoir expliquer votre réaction ?
Et si votre corps se souvenait à votre place ?
Dans l’accompagnement psychocorporel, nous rencontrons souvent ces signaux. Ce ne sont pas des anomalies, mais plutôt des traces : des mémoires silencieuses que le corps a conservées, bien après que l’esprit a oublié ou rationalisé. Ce sont des gestes interrompus, des émotions figées, des élans retenus.
Dans cet article, je vous propose de découvrir ce que sont les mémoires corporelles, comment elles influencent notre quotidien sans qu’on en ait conscience, et comment une approche douce et respectueuse du corps peut permettre de leur donner l’espace à ce qu’elles s'expriment enfin..
Le corps n’oublie rien : Comprendre les mémoires corporelles
Notre corps possède une mémoire. Pas seulement au niveau cérébral, mais aussi à travers les tissus, les muscles, la respiration, les postures.
Cette mémoire est implicite : rien n’est stocké sous forme de mots ou de souvenirs visuels, mais plutôt sous forme de sensations, de tensions, de réflexes. Ce sont les mémoires corporelles, aussi appelées parfois "mémoires traumatiques" ou "mémoires émotionnelles".
Un exemple :
- Un enfant qui a vécu un moment de peur intense sans pouvoir pleurer ou se réfugier dans les bras de quelqu’un.
- Pour continuer à fonctionner, son corps a contracté ses muscles, il a retenu son souffle, et a inscrit en lui cette stratégie de protection.
- Devenu adulte, il peut réagir de manière disproportionnée à certaines situations sans comprendre pourquoi : son corps revit quelque chose que lui-même n’a pas en mémoire consciente.
- Un peu comme un réflexe qui a déjà fonctionné par le passé et qui est toujours utilisé aujourd’hui.
Ces empreintes peuvent prendre la forme de tensions musculaires chroniques, de douleurs inexpliquées, de réactions émotionnelles fortes à des situations anodines, ou encore d’un sentiment diffus d’insécurité, d’injustice, de honte, sans lien apparent avec le présent.
Quand les mots ne suffisent plus : Les limites de la thérapie verbale seule
De nombreuses personnes que j’accompagne me disent : « J’ai déjà parlé de tout ça, je connais mon histoire, j’ai déjà réglé cette situation, mais…. »
Effectivement, avoir mis des mots sur son passé est une étape précieuse. Mais parfois, les traces restent dans le corps. Parce que certaines expériences ont été vécues à un âge où la parole n’était pas encore possible. Ou parce que le choc a été tel que l’esprit a mis en place une forme de dissociation. C’est un peu comme une déconnexion entre les sensations corporelles et le vécu.
Le corps, lui, a gardé une trace. Et c’est par lui qu’une approche complémentaire devient possible.
Contacter les mémoires du corps : Un toucher respectueux et ajusté
La thérapie psychocorporelle propose une rencontre : celle de la personne avec son propre corps. Non pas en le forçant, en le manipulant, mais en l’écoutant. En lui laissant la possibilité de s’exprimer autrement que par des mots.
Le toucher utilisé dans cette approche n’est pas un toucher qui "fait" ou qui "prend". C’est un toucher d’écoute. Il vient rencontrer, sans intention, les zones de tension, les endroits figés, les zones oubliées. Il soutient sans envahir, il accueille sans diriger.
Petit à petit, la personne sent qu’elle peut laisser venir ce qui se présente : un soupir, un tremblement, une larme, une image fugace. Parfois, il ne se passe rien d’apparent, mais une qualité de présence s’installe, une détente se fait sentir, une respiration se libère.
C’est un travail subtil, profond, qui demande de la patience, du respect et beaucoup de présence.
Ce qui se libère : Retrouver du mouvement, de la conscience, de la vitalité
Quand une mémoire corporelle peut être rencontrée dans un cadre sécurisant, elle n’a plus besoin de se manifester en tension ou en douleur. Elle peut, symboliquement, "finir son mouvement".
C’est ce qu’on appelle parfois la restauration du mouvement interrompu.
- Une femme qui a toujours retenu sa colère peut, un jour, sentir une énergie puissante naître dans ses bras.
- Une autre, qui s’est toujours sentie "coupée en deux", peut sentir ses jambes exister à nouveau, la reliant à la terre.
- Une autre encore, dont le souffle est resté figé depuis un événement marquant, peut enfin respirer profondément, jusqu’au ventre.
Ces libérations ne sont pas spectaculaires. Elles sont souvent simples, intimes, mais profondes. Elles permettent de retrouver une qualité de présence à soi, une souplesse, une joie de vivre oubliée.
Intégration : Accueillir ce qui revient avec douceur et présence
Il ne s’agit pas de "décharger" ou d’enchaîner les libérations. Le corps a besoin de temps pour intégrer ce qu’il a libéré. Il a besoin de douceur, de chaleur humaine, de continuité.
C’est pourquoi l’accompagnement par le toucher se fait dans la lenteur, le respect, l’écoute. Chaque séance est un espace de rencontre avec soi-même, où l’on apprend à habiter son corps autrement, à lui faire confiance, à reconnaître ses besoins.
Le rôle du praticien est d’être là : présent, stable, bienveillant. Le lien relationnel est essentiel. Car c’est souvent dans la relation que la blessure s’est inscrite. Et c’est aussi dans la relation que la réparation peut se vivre.
Quand le corps devient un allié à la vie
Le corps ne trahit pas. Il exprime ce qu’il n’a pas pu dire autrement. Il protège. Il tente, à sa manière, de nous garder en vie, même si cela nous coûte parfois cher en tensions ou en fatigue.
L’approche psychocorporelle ne cherche pas à corriger le corps, ni à le rendre plus performant. Elle l’écoute, le reconnaît, l’honore. Et elle permet peu à peu de passer d’un corps subi à un corps habité, choisi, aimé.
Et si ce que vous ressentez sans comprendre était une invitation ? Une porte d’entrée vers une part oubliée de vous-même ?
Et si votre corps savait déjà ce que vous cherchez depuis si longtemps ?
